Jongler entre l’enfer et le paradis pour aller dans le Sud d’Haïti

Written by on July 29, 2023

Le Nouvelliste | Publié le 28 juillet 2023 – Après avoir traversé Martissant, occupé depuis plus de deux ans par des gangs armés, ou parcouru les kilomètres de la route cahoteuse de Tara’s à Diquini, rallier la commune de Gressier est loin d’être un long fleuve tranquille à cause des embouteillages provoqués par des tonnes d’alluvions sur une bonne partie de la chaussée. Des inondations provoquées en grande partie par les constructions anarchiques au niveau de Mariani risquent de couper la capitale du grand Sud. La route nationale numéro 2 est en train de disparaître.

Comment se rendre aux Cayes par la route sans affronter l’humeur des bandits armés de Martissant ? On passe par Laboule 12, Tara’s, dans les hauteurs de Pétion-Ville. Au gré des aléas de la route. Il fait 35 degrés Celsius à Port-au-Prince au milieu du mois de juillet. Le climatiseur du véhicule est tombé en panne. On sue à grosses gouttes sur cette route escarpée et poudreuse qui nous conduit vers la commune de Carrefour. La vitesse ne dépasse pas les 20 kilomètres/heure. Les amortisseurs d’un camion à bascule souffrent sous le poids des marchandises qu’il transporte. Le commerçant a évité la route de Martissant où le droit de passage est très élevé quand il s’agit de marchandises.

Quelques instants après avoir passé devant des maisons cachées derrière d’énormes portails et de hauts murs d’enceintes, après avoir franchi un barrage protégé par des gardiens armés, on s’enfonce progressivement dans la brousse avant de s’arrêter devant un nouveau barrage, celui-ci érigé par des badauds. On ne voit pas d’armes comme à Martissant mais on doit quand même mettre la main au portefeuille. Comme on ne transporte pas de marchandises, on paie 500 gourdes pour passer. On s’enfonce, ballotés, sur cette route éreintante pendant plus d’une heure. Dans la descente, un camion de marchandises s’est renversé. Ses freins auraient lâché, selon deux personnes rencontrées sur place.

Notre véhicule arrive enfin, à bout de souffle, sur la route principale de Carrefour, à hauteur de Diquini. Cette commune n’a jamais été si insalubre avec des eaux puantes, des immondices partout et ses routes délabrées. La  Route des Rails est complètement défoncée. Aucuns travaux d’entretien ne sont en cours ni n’ont été réalisés depuis des années. A la sortie, d’épaisses fumées noires en provenance du site de décharges aveuglent les passants. Le calvaire se poursuit avec les bouchons qui se forment dans une gare routière anarchique avec notamment les vieux bus scolaires américains revigorés dans le transport en commun en Haïti. Un énorme tohu-bohu entre véhicules mal stationnés et marchands sur une bonne partie de la chaussée bloque la circulation.

A quelques mètres vers le Sud, il faut de grosses bottes pour accéder à l’abattoir de Mariani. De la boue partout. De nouveaux embouteillages se forment un peu plus loin sur la route nationale  numéro 2. Ils sont causés par des alluvions qui se répandent sur la chaussée à chaque goutte de pluie. Faute de canalisation et de travaux de drainage, les eaux en furie défient les constructions anarchiques perchées dans les hauteurs et en contrebas. Les sentiers sont transformés en torrents quand il pleut, quand la nature crache sa colère. « Il faudra construire une dizaine de ponts de Carrefour à Gressier si des interventions urgentes ne sont pas faites contre les constructions anarchiques », pense un passager, entrepreneur, en colère et impatient au milieu des embouteillages.

Malgré cette dégradation accélérée de l’environnement, on n’arrête pas de creuser pour faire sortir de terre de nouvelles constructions alors que certaines maisons continuent d’être englouties sous les alluvions. Jusqu’à Léogâne, le réseau routier, non entretenu, subit les assauts des apports des inondations aggravées par les constructions anarchiques.

Les autorités de Léogâne n’ont trouvé de meilleur endroit pour déverser les tonnes de boue et les déchets des dernières inondations que le pont de la Wout Nèf. Elles ont inventé un décor infernal. Toutes seules.

On reprend notre vitesse normale. Loin de Port-au-Prince, des grandes villes, on respire mieux. L’air frais caresse les narines. C’est jour de marché à certains endroits. En Haïti, les marchés publics informels pullulent sur les routes nationales, les grandes artères. Des mangues, des melons, des fruits à pain (lam veritab), entre autres, sont en abondance. On s’arrête quelques minutes à Miragoâne pour acheter du griot et des bananes dans un fritay réputé. C’est bon. Pour la première fois de la journée, le voyage a le bon goût d’autrefois.

Le soleil disparait à l’horizon. L’obscurité oblige à réduire la vitesse de croisière. Sur les 188 kilomètres parcourus jusqu’à la ville des Cayes, on ne verra pas le moindre lampadaire sur la route nationale. Dans la troisième ville du pays, l’Electricité d’Haïti (EDH), la seule compagnie d’électricité publique, n’est plus dans le discours des gens. La dernière fois que l’EDH a distribué de l’électricité remonte à février 2023, après six mois de black-out. Chacun s’organise, selon ses moyens, pour avoir de l’énergie électrique. Des batteries alimentées par des panneaux solaires ou des génératrices couplées à des inverter. Chaque usager qui le peut s’est transformé au fil des ans en centrale électrique.

Sur la plage de Gelée, il n’y a pas grand monde comme au bon vieux temps. Quelques vacanciers dégustent du poisson grillé ou du homard. De la bière, du jus de coco… Un troubadour crée l’animation pour des clients. La connexion internet est un casse-tête, on ne peut pas partager sur les réseaux sociaux les quelques instants de normalité retrouvés. La Digicel et la Natcom se lancent souvent dans un concours de la pire connexion Internet et de réseau dans la région.

On quitte la plage orpheline de ses vacanciers chassés par le climat d’insécurité qui sévit à Port-au-Prince depuis quelques années. Direction : la côte Sud. La route poudreuse est un calvaire avec ses interminables nids-de-poule. Les suspensions des motocyclettes et des voitures en paient les frais. Pour se protéger contre la poussière, certains portent des combinaisons et des masques.

Près de deux ans après le séisme qui a ravagé le grand Sud, des familles et des institutions peinent à se relever. Des écoles et des églises continuent de fonctionner difficilement sous des hangars. La reconstruction post-séisme, en dépit des promesses des autorités locales et d’organismes internationaux, n’est pas effective.

A la campagne, la misère, la faim se font sentir un peu partout. « C’est la saison des mangues et du fruit à pain, c’est ce qui nous soutient en ce moment », souligne un paysan de Ducis en train de labourer une de ses parcelles après une pluie la veille.

Pour combattre la canicule, on sillonne les cascades d’eau à Ducis, à Camp-Perrin où l’ambiance ne s’arrête jamais ou presque. On mange bio, on respire bien. On n’entend plus les détonations d’armes à feu, on dort à la belle étoile, avec ses effets personnels à côté de soi. Quelques jours après, on retourne à Port-au-Prince, en vivant les mêmes péripéties. La présence d’une quelconque autorité n’est remarquée nulle part. A Pèlerin, on tombe sur le cadavre d’un homme calciné au beau milieu de la route. Un présumé voleur de motocyclette lynché et brûlé par des membres de la population.

Bienvenue à Port-au-Prince en ce mois de juillet 2023 !

Par Valéry Daudier
28 juillet 2023 | Lecture : 5 min

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