De la trêve des gangs de Cité Soleil

Written by on July 18, 2023

Le Nouvelliste | Publié le 17 juilet 2023 A l’initiative du prêtre catholique Tom Hagan, une trêve est observée entre les gangs armés de Cité Soleil après une succession d’affrontements ayant fait des centaines de morts, d’innombrables blessés par balles, des violées et des milliers de déplacés depuis début 2021.

A l’initiative du prêtre catholique Tom Hagan, une trêve est observée entre les gangs armés de Cité Soleil après une succession d’affrontements ayant fait des centaines de morts, d’innombrables blessés par balles, des violées et des milliers de déplacés depuis début 2021.

Sur ce coin de terre, transformé en un enfer à ciel ouvert, un jour de paix est une chance de vivre un jour de plus. A Cité Soleil, personne ne crachera sur cette trêve et la possibilité de circuler sans être la cible d’un tireur embusqué.

Cependant, par rapport à cette trêve, les positions divergent. Il y a  d’un côté des pragmatiques froids, convaincus que la paix s’achète si elle ne peut pas être imposée et garantie par les pouvoirs publics. Et de l’autre, l’on retrouve ceux, non moins pragmatiques, qui soulignent que la paix sans désarmement et réinsertion efficace des belligérants, sans justice pour les victimes, sans justice sociale pour sortir Cité Soleil de son statut d’éternel bidonville en proie à la pauvreté extrême est illusoire; que cette paix ne peut pas durer.

Le temps, comme toujours, livrera la vérité. Mais en attendant, il y a des questions, des appréhensions à ne pas ignorer.

Des questions

Parmi les questions que l’on peut se poser est pourquoi cette trêve et pourquoi maintenant ? La nécessité de cette trêve n’est pas à démontrer. En plus de la violence extrême, l’insécurité alimentaire fait rage à Cité Soleil. Des quartiers entiers sont vidés à cause de cette guerre. L’accès à la nourriture et à l’eau potable pour ceux qui sont restés par choix ou par obligation est problématique. Avec la fermeture des « petits marchés » de proximité et des « Ti boutik » de rues et de ruelles, c’est une économie de survie, de subsistance qui s’est vue déstructurée et anéantie.

Le pourquoi de cette trêve maintenant peut avoir des éléments de réponses dans le contexte. Nous sommes dans un contexte de sanctions infligées et de sanctions à venir contre des membres des élites politiques et économiques accusés d’être responsables d’actes de corruption, d’instrumentalisation des gangs armés. Sous peu, les Nations Unies doivent communiquer sa liste de sanctionnés. Les USA, le Canada et d’autres pays ne semblent pas encore avoir atteint le bas de page de leurs listes « d’indélicats », « responsables », par leurs actions ou leurs silences, de cette descente aux enfers d’Haiti.

Sans être expert en sciences politiques, il est compris que les sanctions, en soi, peuvent constituer un arrêt de mort politique ou l’obligation pour des familles politiques privées de leurs têtes d’affiches de recourir à des doublures. A cause de ce développement, sur l’échiquier politique, il faudra être attentif aux effets du tremblement de terre politique provoqué par les sanctions. Il y a désormais des places à prendre, des vides à combler, des destins à forger, en replacement d’éléments de l’actuel classe politique décriée, déconnectée des vrais aspirations de la population.

Avec la résolution de l’ONU n’écartant pas l’option de l’envoi en Haïti d’une force non onusienne et ou de maintien de la paix, les perspectives de rétablissement de la sécurité nécessaire à la tenue des élections ne seraient pas si éloignées et si incertaines dans le temps. Un calendrier, des limites, des résultats aux tenants du pouvoir finiront par s’imposer. Il faudra attendre et voir les limites de la patience des Haïtiens et de la communauté internationale face à des acteurs politiques qui sont passés maître dans ce petit jeu de discussions politiques à somme nulle alors que les appels à une solution politique haïtienne à la crise haïtienne n’ont jamais été aussi pressants, aussi importants pour définir et finaliser les contours de l’assistance à donner à Haïti.

La communauté internationale, occupée à d’autres crises au Soudan, en Ukraine…, après avoir manié beaucoup plus les éléments de langage dramatiques est attendue au tournant des vraies prémisses en 2023 pour un retour à une certaine normalité démocratique et institutionnelle en Haïti.

En 2024, tous les masques tomberont. Sauf catastrophe naturelle de grande ampleur ou crise mondiale majeure, 2024 devra être une année de décision, d’action pour ramener la paix dans les communautés, désarmer les gangs, casser les filières criminelles d’alimentation d’armes, de munitions et pour neutraliser les sponsors et parrains des criminels qui sont bien au chaud dans les hautes sphères et dans l’appareil judiciaire. Par rapport à tout ça, il faudra aussi être attentif au possible faire semblant, aux faux semblant, aux vernis de solutions concoctées par des fonctionnaires internationaux pressés.

Là encore, le temps dira si ces efforts de paix ici et là ne participent pas d’une stratégie d’apaisement, de saupoudrage, de paix factice le temps d’organiser des élections a minima, relativement potables, au standard de l’acceptable pour Haïti. Si cela se confirme, il y a craindre que la démocratie restera l’otage des gangs armés dans certaines circonscriptions du pays dont Port-au-Prince, Cité Soleil, Delmas, Carrefour, Croix-des-Bouquets. La bonne grâce ou l’alliance tacite avec des hommes en armes resteront incontournables.

Des appréhensions    

En ce qui a trait aux appréhensions, elles existent par rapport à cette trêve entre les gangs. A Cité Soleil, une paix fragile, obtenue en partie grâce à des financements d’activités à caractère social pilotées par des chefs de gangs, avait volé en éclat début 2021. Les gangs ont des affiliations politiques, des amitiés politiques. Les rivalités politiques au plan national ont eu des incidences néfastes sur la paix à Cité Soleil. Au regard de l’histoire récente, la trêve actuelle doit survivre à au moins trois épreuves. La disponibilité d’un certain niveau de ressources pour financer des projets labellisés « projet social » pour rendre la paix profitable pour les groupes armés. Les tensions internes pour le commandement et la discipline des membres du gang. Il n’est pas rare, en lien avec des disputes pour de l’argent, que des assassinats de chefs par leurs soldats redéfinissent les engagements, les rapports de force et l’organisation au sein d’un gang. L’autre épreuve, le maintien de la discipline peut être problématique. Après avoir pratiqué une politique de terre brûlée préjudiciable aux activités économiques à Cité Soleil et dans ses environs, il est évident que le tissu économique ne s’en remettra pas de sitôt afin de subir les ponctions du racket organisé. Cela risque d’être problématique d’empêcher aux soldats, en bande ou en loup solitaire, avec leurs armes de poings, de s’adonner à des braquages en série, à des cambriolages, à des kidnappings. La trêve des gangs signifie qu’ils ne s’affrontent plus et que leurs cibles naturelles redeviennent le citoyen, la citoyenne ordinaire qui s’adonne à une activité économique. Cette trêve peut aussi être perçue comme une menace potentielle pour les tenants du pouvoir. L’unité de la force de frappe des gangs met également en avant l’urgence d’être sérieux, rapide et consistant dans les efforts pour aider aux renforcement des capacités opérationnelles, de contrôle du territoire par les PNH et les FAD’H.

Les prochaines semaines, les prochains mois seront déterminants. La trêve observée par des gangs à Cité Soleil n’offre qu’un répit. Il peut voler en éclats. En Haïti on oublie trop souvent que la paix et la sécurité sont une construction lente et assidue, basée sur l’état de droit et la justice sociale.

Par Roberson Alphonse
17 juillet 2023 | Lecture : 6 min

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